Billet – Crossovers, le segment de la discorde
Texte par Théo Castel.
S’il y a bien un univers où la mode fait des ravages, c’est le monde de l’automobile. A chaque décennie correspond son lot d’innovations technologiques ou esthétiques. Mais parfois, ce sont les catégories de véhicules elles-mêmes qui sont atteintes. Qu’on se le dise, je suis un fervent partisan d’une classification conventionnelle de nos autos : citadine, polyvalente – compacte, berline – grande routière, break, coupé – cabriolet, monospace, 4x4 – SUV de luxe, sportives – supercars. Or, les années 2010 ont vu fleurir un nouveau segment qui s’est rapidement imposé comme la catégorie en vogue : les « crossovers ». Un nom qui fleure bon le vide intellectuel… Il convient avant tout de rappeler ce qu’est un SUV. Les Sport Utility Vehicles sont des 4x4 loin d’être de simples franchisseurs rustiques, capables de transporter toute une famille et bien souvent luxueux. Ils gardent toutefois de bonnes capacités de franchissement. Porsche Cayenne, Range Rover et autres Mercedes ML sont quelques représentants du genre. Notons également que cette catégorie est apparue dans les années 1990 voire 1970 pour le mythique Range Rover.
Revenons-en aux crossovers. Littéralement, ce terme anglais signifie « multisegment » ou « transversal ». C’est l’idée d’une catégorie nouvelle empruntant aux autres qui transparaît donc. Je daterais plus ou moins arbitrairement leur naissance en 2007, année de commercialisation du fameux Nissan Qashqai. L’idée était la suivante : proposer aux familles un monospace camouflé sous les traits d’un SUV, abandonnant au passage toute velléité baroudeuse. Le souci, c’est qu’il était proposé – et s’est majoritairement vendu – en version deux roues motrices… Le crime était commis et le nippon allait lancer une mode qui, dix ans plus tard, se répand à tous les segments au lieu de s’essouffler.
Cependant, jusqu’à l’aube des années 2010, le marché demeure soumis à certains codes. Citroën C-Crosser, Peugeot 4007, Mitsubishi Outlander, Ford Kuga, Hyundai Tucson, Honda CRV... Tous se ressemblent plus ou moins, notamment en matière de dimensions. En 2010, patatras : Nissan récidive et commercialise son Juke, inventant par là le segment des mini crossovers. Le concurrent Toyota en avait pourtant déjà tenté une ébauche avec le fade Urban Cruiser (2009), échec commercial. Mais le nouveau bébé de Nissan est tout autre. La notion même d’habitabilité, que l’on pouvait à la rigueur accorder à ses aînés, est totalement niée : le Juke n’a de SUV que le style, un tantinet surélevé et outrageusement agressif (sulfureux diront certains). C’est avec lui qu’apparaît l’expression « crossover urbain », symbole de la stupidité des services marketing. Désormais, une voiture doit être rehaussée et éventuellement dotée de barres de toit et autres protections en plastique pour être « à l’épreuve de la ville »… Tout ceci n’a évidemment aucun sens et trahit un simple effet de mode. Mais le Q.I. automobile français étant proche de celui d’un crustacé, la recette fonctionne : le Juke fait un malheur et le syndrome des mini crossovers contamine la planète auto. Renault Captur, BMW X1, Audi Q3, les constructeurs ont bien vite flairé le filon et lancent des modèles qui se vendent comme des petits pains.
Quelques années plus tard, l’état des lieux est encore plus désolant. Chacun y va de son interprétation du genre, tantôt minispace, tantôt monospace, tantôt mini crossover. Il serait vain d’essayer de catégoriser tout cela tant les modèles sont nombreux. Deux tendances sont observables néanmoins : les descendants du Juke, créés à partir d’une feuille blanche (Volkswagen T-Roc, Ford Ecosport, Audi Q2, BMW X2, Hyundai Kona, Kia Niro, sans oublier l’ignoble Toyota C-HR…) et les monospaces « convertis » (Peugeot 3008 et 5008 II, Renault Espace V, Citroën C3 Aircross…). Ces derniers se caractérisent au passage par une laideur assez peu commune. La tendance baroudeur se retrouve jusque chez les petites citadines : sans même se réclamer du genre, les Citroën C3 et Suzuki Ignis optent pour un air aventurier.
Et ce n’est pas l’actuel salon de Genève qui stoppera l’hémorragie. L’horrible BMW X4, l’immonde Jaguar I-Pace, l’affreux Lexus UX ou encore l’incompréhensible Porsche Mission E Cross Turismo sont quelques unes des nouveautés crossover 2018. On notera le nouveau petit Volvo XC40, qui, signe des temps, raffle le titre de voiture de l’année 2018…
Quid du monde du luxe ? Bonne nouvelle, les SUV premium « à l’ancienne » demeurent aux catalogues des constructeurs : Mercedes GLE et Classe G, Audi Q7, Range Rover (qui se paie le luxe d’un retour aux origines avec une très chic version trois portes, présentée en ce moment à Genève), BMW X5, Porsche Cayenne. Nonobstant, des fausses notes sont à relever. Si le BMW X6 premier du nom faisait figure d’OVNI et n’était pas si mal dessiné, son successeur s’avère bien plus pataud, tandis que le X4 est franchement raté. Chez Mercedes, la déclinaison « coupé » du GLE et son petit frère GLC singent X6 et X4 pour un résultat disgracieux. Bien qu’isolée, Tesla propose sa vision du crossover avec l’abject Model X. Les marques de grand prestige n’échappent malheureusement pas à la règle, en témoignent les Jaguar F-Pace et Bentley Bentayga. Plus grave encore, des prototypes camouflés d’un futur SUV Rolls-Royce ont été surpris en circulation et il se murmure même que Ferrari sauterait le pas d’ici peu ! Mais c’est du côté de Sant’Agata Bolognese que l’on porte un coup fatal à toute notion de passion et de sportivité : Lamborghini dévoilait il y a peu son Urus, un « super SUV » dont le style n’a rien à envier aux pires productions japonaises. Une véritable allure passe-partout, à peine plus acérée que les autres, aux antipodes des productions habituelles de la maison. « Et le LM002, on l’oublie ? », crieront les mauvaises langues. Déraisonnable, outrageusement dessiné, peu diffusé, ce dernier n’a aucun rapport avec l’Urus, pensé dans une logique de rentabilité et de diffusion à grande échelle.
En définitive, à quoi servent réellement toutes ces sous-catégories de SUV, qu’ils soient « coupés », « urbains » ou « mini crossovers » ? Réponse : à rien. Rien si ce n’est, pour les constructeurs, vendre, et pour les clients, se sentir exister socialement parce qu’au volant d’un véhicule surélevé dont l’apparence se démarque. Les crossovers d’aujourd’hui ne sont que pur faste et répondent à une demande de clients en mal de reconnaissance. Qu’apporte la déclinaison Stepway à une Dacia Sandero ? Un Mercedes GLA par rapport à une Classe A ? Un Kadjar par rapport à un Scénic ? On l’aura compris : pas grand-chose…
Pire qu’une épidémie de peste, la mode des crossovers va même jusqu’à contaminer la flotte présidentielle : c’est à bord du nouveau DS7 Crossback que le Président Macron défilait pour son investiture en mai dernier. L’État n’est plus associé aux grandes berlines d’antan. Triste époque.
Revenons-en aux crossovers. Littéralement, ce terme anglais signifie « multisegment » ou « transversal ». C’est l’idée d’une catégorie nouvelle empruntant aux autres qui transparaît donc. Je daterais plus ou moins arbitrairement leur naissance en 2007, année de commercialisation du fameux Nissan Qashqai. L’idée était la suivante : proposer aux familles un monospace camouflé sous les traits d’un SUV, abandonnant au passage toute velléité baroudeuse. Le souci, c’est qu’il était proposé – et s’est majoritairement vendu – en version deux roues motrices… Le crime était commis et le nippon allait lancer une mode qui, dix ans plus tard, se répand à tous les segments au lieu de s’essouffler.
Cependant, jusqu’à l’aube des années 2010, le marché demeure soumis à certains codes. Citroën C-Crosser, Peugeot 4007, Mitsubishi Outlander, Ford Kuga, Hyundai Tucson, Honda CRV... Tous se ressemblent plus ou moins, notamment en matière de dimensions. En 2010, patatras : Nissan récidive et commercialise son Juke, inventant par là le segment des mini crossovers. Le concurrent Toyota en avait pourtant déjà tenté une ébauche avec le fade Urban Cruiser (2009), échec commercial. Mais le nouveau bébé de Nissan est tout autre. La notion même d’habitabilité, que l’on pouvait à la rigueur accorder à ses aînés, est totalement niée : le Juke n’a de SUV que le style, un tantinet surélevé et outrageusement agressif (sulfureux diront certains). C’est avec lui qu’apparaît l’expression « crossover urbain », symbole de la stupidité des services marketing. Désormais, une voiture doit être rehaussée et éventuellement dotée de barres de toit et autres protections en plastique pour être « à l’épreuve de la ville »… Tout ceci n’a évidemment aucun sens et trahit un simple effet de mode. Mais le Q.I. automobile français étant proche de celui d’un crustacé, la recette fonctionne : le Juke fait un malheur et le syndrome des mini crossovers contamine la planète auto. Renault Captur, BMW X1, Audi Q3, les constructeurs ont bien vite flairé le filon et lancent des modèles qui se vendent comme des petits pains.
Quelques années plus tard, l’état des lieux est encore plus désolant. Chacun y va de son interprétation du genre, tantôt minispace, tantôt monospace, tantôt mini crossover. Il serait vain d’essayer de catégoriser tout cela tant les modèles sont nombreux. Deux tendances sont observables néanmoins : les descendants du Juke, créés à partir d’une feuille blanche (Volkswagen T-Roc, Ford Ecosport, Audi Q2, BMW X2, Hyundai Kona, Kia Niro, sans oublier l’ignoble Toyota C-HR…) et les monospaces « convertis » (Peugeot 3008 et 5008 II, Renault Espace V, Citroën C3 Aircross…). Ces derniers se caractérisent au passage par une laideur assez peu commune. La tendance baroudeur se retrouve jusque chez les petites citadines : sans même se réclamer du genre, les Citroën C3 et Suzuki Ignis optent pour un air aventurier.
Et ce n’est pas l’actuel salon de Genève qui stoppera l’hémorragie. L’horrible BMW X4, l’immonde Jaguar I-Pace, l’affreux Lexus UX ou encore l’incompréhensible Porsche Mission E Cross Turismo sont quelques unes des nouveautés crossover 2018. On notera le nouveau petit Volvo XC40, qui, signe des temps, raffle le titre de voiture de l’année 2018…
Quid du monde du luxe ? Bonne nouvelle, les SUV premium « à l’ancienne » demeurent aux catalogues des constructeurs : Mercedes GLE et Classe G, Audi Q7, Range Rover (qui se paie le luxe d’un retour aux origines avec une très chic version trois portes, présentée en ce moment à Genève), BMW X5, Porsche Cayenne. Nonobstant, des fausses notes sont à relever. Si le BMW X6 premier du nom faisait figure d’OVNI et n’était pas si mal dessiné, son successeur s’avère bien plus pataud, tandis que le X4 est franchement raté. Chez Mercedes, la déclinaison « coupé » du GLE et son petit frère GLC singent X6 et X4 pour un résultat disgracieux. Bien qu’isolée, Tesla propose sa vision du crossover avec l’abject Model X. Les marques de grand prestige n’échappent malheureusement pas à la règle, en témoignent les Jaguar F-Pace et Bentley Bentayga. Plus grave encore, des prototypes camouflés d’un futur SUV Rolls-Royce ont été surpris en circulation et il se murmure même que Ferrari sauterait le pas d’ici peu ! Mais c’est du côté de Sant’Agata Bolognese que l’on porte un coup fatal à toute notion de passion et de sportivité : Lamborghini dévoilait il y a peu son Urus, un « super SUV » dont le style n’a rien à envier aux pires productions japonaises. Une véritable allure passe-partout, à peine plus acérée que les autres, aux antipodes des productions habituelles de la maison. « Et le LM002, on l’oublie ? », crieront les mauvaises langues. Déraisonnable, outrageusement dessiné, peu diffusé, ce dernier n’a aucun rapport avec l’Urus, pensé dans une logique de rentabilité et de diffusion à grande échelle.
En définitive, à quoi servent réellement toutes ces sous-catégories de SUV, qu’ils soient « coupés », « urbains » ou « mini crossovers » ? Réponse : à rien. Rien si ce n’est, pour les constructeurs, vendre, et pour les clients, se sentir exister socialement parce qu’au volant d’un véhicule surélevé dont l’apparence se démarque. Les crossovers d’aujourd’hui ne sont que pur faste et répondent à une demande de clients en mal de reconnaissance. Qu’apporte la déclinaison Stepway à une Dacia Sandero ? Un Mercedes GLA par rapport à une Classe A ? Un Kadjar par rapport à un Scénic ? On l’aura compris : pas grand-chose…
Pire qu’une épidémie de peste, la mode des crossovers va même jusqu’à contaminer la flotte présidentielle : c’est à bord du nouveau DS7 Crossback que le Président Macron défilait pour son investiture en mai dernier. L’État n’est plus associé aux grandes berlines d’antan. Triste époque.
Les photos proviennent des sites internet des constructeurs.