24 heures du Mans 2019 : jour de course !
Textes et photos par Valentin Bourgeois.
Samedi 15 Juin 2019, 8 heures du matin. Je me réveille dans mon appartement du Mans sous un léger soleil matinal. Alors que je prends mon petit déjeuner, je réalise que je serai de retour seulement le lendemain au soir, et j'aurai alors couvert mes premières 24 heures du Mans. Les cartes mémoires sont vides, les batteries chargées, les objectifs nettoyés, les appareils prêts. Je monte dans ma valeureuse Golf I Cabriolet direction le circuit, en emportant tout le nécessaire pour vivre plus de 24 heures : nourriture, eau, boissons énergisantes. J'arrive sur le circuit rapidement, l'avantage d'habiter sur place et de connaître quelques petits raccourcis. Première surprise, le parking que j'utilisais durant les qualifications (MMArena) est privatisé, je dois donc me rabattre sur le parking public situé derrière le Porsche Experience Center, à quelques 2 kilomètres des paddocks... Je gare la voiture parmi les camping-car, je prépare les appareils : 70D avec 70-200 2.8 et 60D avec le 17-55 2.8 et direction le circuit !
Mes péripéties de parking m'ont quand même pris une petite heure, et il est 9h27 à mon arrivée en bord de piste. Le warm up des 24 heures est en pleine action, je décide de me mettre en extérieur du circuit au niveau des Chicanes Michelin et Ford. Un choix plus que stratégique pour le départ de la course des Ferrari Challenge qui va suivre.
10 heures 15, la course mouvementée des Ferrari Challenge commence. Avec une bonne heure devant moi, j'ai le temps de me rendre en bout de ligne droite pour 11 heures 30 et le départ de la course du Road To Le Mans. Vous pouvez retrouver toutes mes photos dans leur reportage dédié.
Je vais alors rester à cet endroit jusque 15 heures et le départ de la course pour avoir la traditionnelle photo du premier tour, mais aussi profiter des différents spectacles : parades constructeur, Franky Zapata et son "jetpack", parade de l'Armée de l'air...
Vers 13 heures, la piste passe au vert et toutes les voitures entrent pour un tour de mise en place sur la grille. Certains sont déjà prêts à en découdre, notamment en GTE Pro où tels des lions que l'on sort de leurs cages, les pilotes commencent à se dépasser...
La procédure de départ commence donc avec la mise en place de la grille façon Le Mans, par classement. Ainsi, on trouve des GTE parmi certaines LMP2 et inversement, avec pour chaque pôle position son affichage correspondant. Une dernière occasion de voir les voitures, comme neuves pour la plupart, avant 24 heures non-stop de course. C'est aussi le moment de la grid walk qui remplit la piste avant le départ.
14 heures 25, le trophée des 24 heures du Mans est invité à remonter la grille. Comme le veut la tradition, c'est à bord d'une Toyota Celica qu'il arrive pour être remis en jeu.
Cette année, c'est la Princesse Charlène de Monaco qui était présente afin de réceptionner le drapeau tricolore pour lancer la course. Un drapeau déposé par des militaires de l'armée française à bord d'un hélicoptère de combat qui nous offrira une belle figure, en cabrant l'appareil à quasiment 90 degrés !
Les événements s'enchaînent et l'heure fatidique se rapproche, le passage de la patrouille de France vient conclure l'hymne national à 14 heures 50 et lance ainsi le tour de formation.
C'est alors que le « Ainsi parlait Zarathoustra », ce poème symphonique de Richard Strauss utilisé pour le départ, retentit dans les enceintes du circuit. Un sentiment d'émotion intense me parcourt, le grand départ arrive, les photographes accrédités se massent sur le long de la ligne...
Il est 15 heures, la dernière note retentit et devient vite submergée par la symphonie des moteurs... La course est lancée ! C'est un moment magique et j'en ai encore des frissons au moment d'écrire ces lignes...
Près de 60 voitures se dirigent vers vous à une vitesse vertigineuse et vont rouler durant un tour d'horloge complet... Le concert des déclenchements en rafale des appareils photos autour de moi m'envahit : pas de doutes, nous vivons un moment d'histoire.
Je reste sur place jusqu'au deuxième tour afin de me renseigner sur les positions de chacun et remarque très vite la disparité entre les performances des prototypes et des GT, qui après un tour on déjà près de 15 secondes d'écart. En bataille interne, c'est l'Aston Martin GTE Pro n°95 qui se détache d'ores et déjà de la Ford, mais calmons nous, il reste 23 heures et 56 minutes de course...
Pour la course, j'ai décidé de faire un tour complet du circuit. En effet, contrairement aux événements que je couvre d'habitude, je vais voir les mêmes voitures pendant un long moment et peux donc essayer de nouvelles choses, comme des prises de vue sur des coins reculés et tenter de vous apporter de nouveaux angles de ce magnifique circuit. Je prends alors la navette adéquate pour me rendre à la première chicane des Hunaudières, aussi appelée "Ralentisseur Forza Motorsport". Un endroit où je ne me suis jamais rendu auparavant mais qui va me permettre d'avoir les voitures de pleine face et de profil pour les filés. J'y suis même accueilli par la mascotte locale des commissaires !
Je passe une petite demie-heure sur place jusque 16 heures, où je reprends la navette médias direction le point le plus éloigné du paddock, le virage de Mulsanne et son golf. Nous nous perdons dans la forêt avec un photographe néerlandais à la recherche du spot idéal tout en s'assurant de rester en dehors des "red zones", ces endroits où notre présence est prohibée pour des questions évidentes de sécurité. Je décide alors de jouer avec les arbres à basse vitesse (1/40), exercice qui s'avère difficile lorsque les voitures que l'on photographie sont lancées à plus de 250 kilomètres/heure.
Après quasiment 45 minutes d'essais et de recherche de spots, je trouve enfin une navette pour continuer mon tour et me rendre en extérieur du virage d'Indianapolis, une fois de plus une nouveauté pour moi. Ce beau virage relevé et son "banking" sont l'endroit idéal pour me rendre compte de l'état des voitures après deux heures de course, et certaines ont déjà bien vécu !
Mais alors que le ciel devient très menaçant, je retourne direction la salle de presse afin d'aller trier quelques photos et faire un bilan de ces deux premières heures de course. Je visite également le paddock et me prépare pour ma prochaine session en bord de piste : le coucher de soleil et la nuit. Il est 20 heures 30 quand je quitte la salle de presse en direction du virage du karting, où j'espère avoir un minimum du mythique coucher de soleil manceau. Sur la route, je ne peux m'empêcher de faire quelques photos à la chicane Ford avec cette belle grande roue en arrière plan.
Et alors que quelques lueurs du soleil apparaissent à l'horizon, je continue mon chemin en direction du karting...
Le ciel commence à montrer de belles couleurs quand tout d'un coup, à 21h30, le soleil se montre... Puis disparaît, deux minutes plus tard. Un timing serré, le temps de quelques clichés du plus bel effet. Je ne vous dis pas la stupéfaction de certains collègues photographes qui n'étaient pas là à ce moment !
Le spectacle ne s'arrête pas là et le ciel du Mans revêt ses habits de feu avant la pénombre. Je suis un grand amateur de couchers de soleil, et ce moment passé seul au bord de la piste restera longtemps dans mes souvenirs...
La nuit tombe doucement sur le circuit, je retourne vers les chicanes Ford pour faire quelques filés nocturnes avec la roue illuminée en arrière plan. J'essaie aussi quelques 3/4 avant nocturnes qui rendent plutôt bien !
Puis les vitesses d'obturation s'abaissent... Je passe d'1/30 à 1/6, puis 0"6... Avant de remonter, les clichés devenant un peu trop flous à mon goût.
Me vient alors l'idée de me rendre de l'autre côté de la piste pour avoir l'arrière des voitures entrant dans la ligne droite des stands, spot que j'avais repéré le matin-même pendant le warm-up. Il y est plutôt difficile de tirer quelque chose de net (mettons ça sur le compte de la fatigue), mais les couleurs sont superbes.
23h34, je viens de remonter la ligne droite des stands et m'arrête un instant pour contempler Le Mans qui commence à s'endormir. La lueur des phares, la lumière des stands et le son des voitures... Le temps se fige. Suis-je dans un rêve ?
Le passage d'une 911 RSR en fond de 5 me ramène à la réalité, car oui, ce que je vis est bien réel, j'ai une chance inouïe et je dois l'immortaliser. Je reprends ma route vers le point de freinage où les disques rougissent et les échappements laissent s'échapper de petites flammes...
Minuit trente, une question me taraude : dois-je aller dormir ? Mes jambes me le supplient, ma tête veut rester toute la nuit. Je me rends en bout de voie des stands pour immortaliser à distance les quelques passages nocturnes, n'ayant pas accès à cette pitlane par manque d'équipements de sécurité.
Une safety car bloque l'accès à la piste quelque temps, parfait pour quelques photos artistiques.
Une heure du matin, je me dirige vers le parking pour essayer de dormir un peu. La safety car dure, mes tympans se reposent, je mets mon réveil à 4 heures pour le lever du soleil même si la météo est peu optimiste. Je me dis on verra bien, puis je m'endors sur la banquette arrière pour une courte nuit de deux heures. À mon réveil, le ciel est complètement voilé, je consulte les prévisions météo : pas de soleil en vue... Dois-je y aller au cas où ? Un coup d’œil sur le classement, Toyota est toujours en tête, Porsche mène en GTE... Je m'autorise un peu plus de sommeil et reprogramme mon réveil à 7 heures.
7 heures, direction le virage de la chapelle pour voir si les lueurs de soleil sont là. En chemin, je croise quelques amis photographes qui sont restés pour le lever du soleil : "il a duré 5 minutes et n'était pas fou". Soulagé, j'arrive au Dunlop où une timide lumière jaune éclaire les voitures, c'est reparti !
Les voitures sont sales et j'essaie de savoir qui a passé la nuit ou non. Le soleil me fuyant décidément, je retourne vers les paddocks en passant par le haut de la pitlane pour continuer ce que j'ai commencé dans la nuit : les gros plans pour se rendre compte de l'état des voitures après plus de quinze heures de course.
Pour la suite des mes aventures, je me positionne le long de la ligne droite des Hunaudières juste après le Tertre rouge, à la recherche de photos incluant les panneaux routiers en arrière plan... pour me rendre compte qu'un sponsor les a recouvert ! Bref, ce n'est pas grave, l'endroit me plaît.
Dans un élan de folie, je monte le 17-55 sur le 70D et me prépare à faire des filés sur les voitures qui passent au niveau du MMArena à plus de 250 km/h. Je pense que je ne suis pas prêt d'oublier ce passage au rupteur d'une 911 RSR ou ceux des Corvette qui vous font trembler le corps entier...
Mais alors que je souhaite retourner au paddock vers 11h30 pour prendre la navette vers Arnage, le retard interminable de celle-ci vient contrarier mes plans. Aux 24 heures du Mans, 3 circuits de navettes presse différents sont opérés. Une application dédiée est mise à disposition des médias, pour savoir quand la prochaine arrive et quel est son trajet... Or, je me trouve à l'arrêt "MMArena", le plus éloigné du circuit A : paddocks, circuit Bugatti, Tertre Rouge, MMArena. La plupart des médias ayant été sur la première partie du circuit, la navette n'a pas le temps d'arriver jusqu'à mon arrêt car elle se remplit avant. J'ai déjà quasiment 40 kilomètres dans les jambes et je choisis d'attendre plutôt que de rentrer en marchant. Une heure et demie plus tard, je parviens enfin à retourner aux paddocks et me positionne au niveau de la ligne d'arrivée, prêt à immortaliser la fin de l'épreuve.
Je reste quasiment deux heures à cet endroit, exténué mais non sans excitation à l'idée de voir l'arrivée de cette grande épreuve. À 14h59, alors que les trophées sont déjà prêts sur le podium, les officiels se pressent en masse sur la passerelle, le compte à rebours affiche 57 secondes... Nous y sommes presque.
Prêt à prendre la "photo finish" et campé sur ma position depuis plus d'une demie-heure, la horde de photographes vient s'agglutiner contre le muret de la ligne droite des stands. Les directives média sont claires : interdiction de se pencher par dessus le muret pour photographier. Naïvement, ou peut être avec un léger manque d'expérience, je me tiens debout avec le monopied déployé afin de prendre en photo l'arrivée de la Toyota n°8 d'Alonso, Nakajima et Buemi, grands vainqueurs de cette édition. Mais alors que la voiture sort de la chicane Ford, les photographes se pressent de se pencher toujours plus par dessus le muret pour la fameuse photo, et je me retrouve totalement bloqué, sans vue dégagée sur la voiture...
Non sans agacement, je me rends compte que tous ou presque disparaissent après le passage de la Toyota, que j'ai quand même pu immortaliser en entier juste après. La vue se dégage, je peux photographier l'arrivée des autres voitures de manière sereine.
Pendant que son coéquipier fait son tour d'honneur, Fernando Alonso vient faire le show sur la ligne droite des stands. Lui qui pendant le pesage et les essais était entouré de gardes du corps, se retrouve seul parmi une centaine de photographes.
Puis Nakajima revient sur la ligne, tous embarquent pour la remontée des stands jusqu'au podium, parfait pour rattraper mon raté de la photo finish.
À 15h15, les grilles et portes donnant sur la piste s'ouvrent, c'est l'heure de l'envahissement post-course. J'avais oublié ce détail dans ma planification des événements à venir, et je me retrouve sur le bord du muret des stands parmi des milliers de spectateurs déchaînés pour faire mes photos du podium. Peu importe, je n'ai pas accès à la pitlane pour le moment et tout ce qui m'importe est de photographier cette fabuleuse cérémonie.
Elle commence donc avec les vainqueurs au général, soit trois équipages d'LMP1 cette année. Alonso, Buemi et Nakajima sur la Toyota n°8 remportent cette édition devant leurs collègues de la n°7 Conway, Kobayashi et Lopez. En troisième position se placent contre toute attente la BR Engineering BR1 de SMP Racing, une LMP1 privée non hybride pilotée par un beau trio composé de Vitaly Petrov, Stoffel Vandoorne et Mikhail Aleshin.
Vient ensuite le podium en GTE Pro, catégorie extrêmement disputée cette année. La Ferrari 488 GTE n°51 de l'équipe AF Corse se place sur la plus haute marche du podium, avec très peu d'avance sur la Porsche 911 RSR n°91 officielle de Lietz, Bruni et Makowiecki. En troisième position se trouve une autre Porsche officielle, la numéro 93 de Patrick Pilet, Nick Tandy et Earl Bamber, habitués des podiums du Mans.
Victoire française en LMP2 avec l'Alpine A470 de Signatech Alpine Matmut et ses pilotes Nicolas Lapierre, Pierre Thiriet et André Negrão. Un tour devant l'Oreca 07 du Jackie Chan DC Racing entre les mains de Ho-Pin Tung, Gabriel Aubry et Stéphane Richelmi. La troisième place revient à un autre équipage français sur Oreca 07, le TDS Racing de François Perrodo, Loïc Duval et Mathieu Vaxivière.
On termine cette cérémonie du podium avec la catégorie GTE Am, elle aussi extrêmement disputée. Sur les photos, c'est la Ford GT du team Keating Motorsports qui prend la première place. Cependant, après les vérifications techniques d'après course, celle ci s'est vue disqualifée pour non-conformité. C'est donc le Team Project 1 sur 911 RSR "Art Car" de Jorg Bergmeister, Egidio Perfetti et Patrick Lindsey qui remporte cette édition, devant la Ferrari de JMW Motorsports pilotée par Rodrigo Baptista, Jeff Segal et Wei Lu. La troisième place revient à un équipage qui n'est pas monté sur le podium, le Weathertech Racing toujours sur Ferrari de Cooper Macneil, Toni Vilander et Robert Smith.
Après cette cérémonie pleine d'émotions (la Marseillaise pour Alpine était formidable), j'essaie tant bien que mal de me rapprocher des voitures gagnantes pour en tirer quelques photos. Parc fermé oblige, impossible de s'approcher sans montrer patte blanche. Je me contente d'une petite photo souvenir avant de me diriger vers le grand parc fermé des autres concurrents. Voir ces voitures dans cet état après 24 heures de course est absolument dingue, et je reste devant, hagard, à me demander si ce que je viens de vivre est bien réel.
Alors que je foule la piste une dernière fois, un élan de nostalgie s'empare de moi. Ce qui a commencé deux semaines plus tôt avec les essais libres, ces voitures que j'ai vues dans le centre-ville du Mans pendant le pesage, ces essais qualificatifs pluvieux, ce coucher de soleil magistral du jeudi, ces conférences de presse du vendredi, la course depuis la veille, les heures de sommeil qui ne se comptent que sur une main, les 3000 photos prises... Tout ceci s'arrête d'un coup, et le retour à la réalité va être difficile. C'est non sans difficulté que je quitte la piste en remontant une dernière fois le stands, en croisant quelques pilotes interviewés durant les conférences, les amis photographes, les collègues d'un jour dans la navette presse... Porsche exhibe fièrement ses banderoles "Champion du Monde constructeur" et "champion du monde pilote", le circuit a retrouvé son calme. Au revoir Le Mans et merci de m'avoir fait vivre cette expérience hors du commun. Je reviendrai, je ne sais pas quand, mais je reviendrai c'est sûr. Les 24 heures du Mans sont plus qu'une épreuve, c'est l'histoire de la course automobile, la quintessence de cette discipline si critiquée, mais pas de doutes, elle fait et continuera de faire rêver.
24 heures du Mans 2019, les autres reportages :
La journée test
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Le pesage
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Les essais qualificatifs
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Les courses annexes
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