Centenaire des 24 heures du Mans - La course
Textes et photos par Valentin Bourgeois.
Imaginez que l'on vous propose de vivre un moment historique. Un moment qui a trouvé sa genèse un siècle plus tôt, aux balbutiements de l'automobile que l'on aime tant. Un moment qui va rester dans les mémoires de notre communauté. Ce samedi 10 juin 2023, après une nuit calme au Mans, c'est avec anticipation et beaucoup d'excitation que je me dirige vers le Circuit des 24 heures, prêt à vivre la course du siècle. À l'occasion du Centenaire des 24 heures du Mans, la planète automobile est en ébullition et tous ne souhaitent qu'une chose : vivre ce moment. L'événement est à guichets fermés, Le Mans se transforme en salon automobile à ciel ouvert tandis que les premiers ronronnements de moteurs sur le circuit se font entendre : c'est jour de course.
La journée commence par plusieurs courses annexes, telles que la Porsche Carrera Cup France ainsi qu'une parade des voitures de l'exposition du Centenaire, rassemblant le plus de vainqueurs de la grande course. Vous retrouverez les photos de ces activités annexes prochainement dans un reportage dédié. Au fur et à mesure que nous nous approchons de 16 heures, heure où le départ sera lancé, les tours de parades se multiplient : le prototype à hydrogène LMPH2G, suivi par une Toyota GR Corolla elle aussi propulsée par hydrogène. Bugatti nous présente aussi la version définitive de la Bolide, une radicale voiture réservée à la piste embarquant le mythique W16.
13 heures 30, la pitlane est ouverte et les concurrents des 24 heures sont invités à se positionner sur la grille de départ. L'ambiance est à la fête au Mans, mais tous n'oublient pas que dans un peu plus de deux heures le départ sera lancé. La Grid Walk prend place et le circuit est envahi de passionnés, stars ou autres pilotes. Nous autres photographes prenons déjà position au bout de la ligne droite des stands, nous sommes près de 1300 journalistes et photographes accrédités et comme autour du circuit, les meilleures places sont fort convoitées.
La tension monte petit à petit, les poils se hérissent à chaque "Ola" de la foule entraînée par Bruno Vandestick, speaker officiel de la course. Remontée du trophée, présentation du drapeau, Marseillaise entonnée par le public, passage de la patrouille de France... L'heure se rapproche !
15 heures 51, le tour de formation est officiellement lancé derrière la Pace Car, une superbe Porsche 911 Turbo S avec une livrée fêtant les 75 ans de la marque. Tout d'un coup, le public est plus calme et la tension se ressent jusque chez les photographes, où tout le monde vérifie une dernière fois ses réglages tout en gardant un œil sur le ciel menaçant.
Alors que nous scrutons les écrans géants pour connaître la position des voitures, la première note de "Ainsi parlait Zarathoustra", ce poème symphonique de Richard Strauss retentit. Ce sont mes troisièmes 24 heures du Mans et les émotions arrivent, je vais vivre le Centenaire de cette course mythique... 16 heures, le calme est vite dérangé par les sons des moteurs lancés à pleine allure : la 91ème édition des 24 heures du Mans est lancée !
H+0 - Première Safety Car...
La bataille fait immédiatement rage au sein des différentes catégories et l'hypercar Cadillac numéro 311 perd le contrôle à l'entrée de la chicane Daytona, entraînant une Safety Car. Fort heureusement plus de peur que de mal, la voiture rentrera par ses propres moyens dans la voie des stands pour y être réparée.
La course repart sans incident notoire, l'occasion pour moi de me diriger vers les navettes presse pour accéder aux virages Porsche.
H+1 : des embouteillages en piste, mais pas que...
Une heure de course vient de passer lorsque je prends la navette presse direction les virages Porsche. Malheureusement, les routes mancelles et l'événement à guichets fermés ne font pas bon ménage, 50 minutes vont passer entre le cliché de la 911 RSR du Gulf Racing et le premier au virage Porsche. Il reste 23 heures de course, ne nous pressons pas...
J'apprécie particulièrement les photos aux virages Porsche, pour la diversité des paysages : on peut à la fois faire du pleine face avec un arrière plan constitué de forêts, mais aussi intégrer le public dans les photos de l'arrière des voitures et même faire des filés. Le virage est en plus décoré pour l'anniversaire de la marque de Stuttgart, floqué d'un "Driven by Dreams" (Animés par nos rêves) qui expose parfaitement mon état d'esprit.
H+2 : Un carnage comme j'en ai rarement vécu
Ce n'est un secret pour personne, la météo du Mans peut parfois être capricieuse. Pour ce Centenaire, les prévisions alternent entre nuages, soleil et pluie, mais sans certitude. Il est tout juste 18 heures 30 lorsque qu'une 911 RSR vient s'échouer dans le bac à sable du virage Porsche après un contact avec une LMP2, qui la suit de peu. Quelques gouttes de pluie se font ressentir aux virages Porsche, mais rien pour mouiller la piste de manière significative : les voitures restent en slicks.
Mais le ciel se noircit et, étonnamment, une seconde LMP2 passe devant moi, elle aussi abimée, suivie d'une autre 911 RSR. Nul ne sait ce qu'il se passe à Mulsanne ou Indianapolis, mais cela me semble bien étrange pour être anodin... Il pleut un peu plus, sans réelle considération pour le moment.
Au moment où ce cliché de l'une des Glickenhaus est pris, la pluie redouble d'intensité et devient sérieusement inquiétante pour qui arrivera en slicks. Il ne pleut que dans cette partie du circuit, le reste est sec !
Je ne sais pas pourquoi, mais mon instinct de survie me dit que cela risque de mal finir. Je continue à prendre quelques photos des concurrents qui sortent de la piste, sans gravité immédiate...
C'est désormais un déluge absolu qui s'abat sur les virages Porsche, je protège tant bien que mal mon appareil mais cela se présente mal. Je prends la décision de reculer derrière les barrières FIA, sait-on jamais. Une décision qui va s'avérer excellente lorsqu'une horde de voitures hors de contrôle arrive au virage, entre ricochets dans les glissières et têtes à queue interminables... Et surtout la 488 GTE de Lilou Wadoux, qui arrive à une vitesse folle en marche arrière dans le dégagement du virage, où se trouvent déjà des voitures et des commissaires en train de les évacuer...
Cela fait près de 10 ans que je suis photographe automobile en bord de piste, 10 ans d'événements, d'accidents et de moments de frayeur. Mais celui-ci est le plus important de tous. J'ai vu la 488 arriver à une vitesse que je ne pourrai décrire, en perte de contrôle totale, avec des commissaires à l'endroit même où elle va aller s'écraser... J'étais positionné pour immortaliser la sortie de piste de la LMP2, avec des réglages qui n'étaient pas les bons, et mon instinct a déclenché l'obturateur en continu ce qui a donné ces photos floues, mais hautement symboliques pour nous rappeler de la dangerosité de la course automobile. Nous avons des règles à respecter en tant que photographes accrédités, qui dans le pire des cas nous assurent une sécurité minimale. L'endroit où s'est écrasée la 488 est une zone rouge, où il est interdit de photographier ou même de s'arrêter. Je remercie l'ACO de l'avoir configuré ainsi car sans ça, j'aurais pu m'y trouver... Cette vidéo montre ce moment que l'on aurait préféré ne pas vivre.
Cet accident d'une violence inouïe a bien sûr entraîné une Safety Car, mais il y a eu d'autres victimes comme la seconde Glickenhaus, l'hypercar Cadillac qui s'est retrouvée passagère de son destin, ou encore la Porsche du Gulf Racing.
H+3 : Que s'est-il passé ?
Qu'en est-il du reste des concurrents ? S'agit-il du seul endroit où 8 voitures sont sorties, dont 3 abandons ? Il faudra attendre les passages successifs pour mieux comprendre ce qu'il s'est passé : seul notre virage venait de se prendre ce déluge, tous les pilotes se sont faits surprendre car ils n'avaient pas mis les pneumatiques adéquats...
H+4 & H+5 : Après la pluie, le soleil...
Après tant d'émotions, le temps est venu de retourner en partie haute du circuit pour le coucher de soleil. La météo n'est pas très optimiste et après une longue attente des navettes, le soleil fera une discrète apparition durant 5 minutes avant de disparaître jusqu'au lendemain.
H+6 : Un autre chagrin du ciel
La nuit au Mans n'est déjà pas une mince affaire : peu de lumière, du trafic, d'importantes différences de vitesse et des points de repères qui disparaissent. Il est 22 heures 10 lorsqu'un nouveau déluge s'abat sur le circuit, qui plonge progressivement dans la pénombre... Fort heureusement, moins de dégâts à constater cette fois-ci.
H+7 : Un spectacle mémorable
La pluie s'est calmée lorsqu'à 23 heures, le premier feu d'artifice est tiré non loin du raccordement. Le show du Centenaire est lancé, qui nous offre un magnifique spectacle dans le ciel du Mans à coups de drones et pyrotechnie. Photographier des voitures de course avec un tel spectacle comme arrière plan est une première, mais c'est une chose superbe qui une fois de plus, restera dans l'histoire de ce Centenaire des 24 heures du Mans.
H+8 : La nuit au Mans...
À minuit, la fatigue commence à se ressentir dans le paddock et chez les photographes. Ayant déjà pris des clichés de nuit lors des essais libres, je passe plusieurs minutes à la sortie de la voie des stands avant de rejoindre les bras de morphée.
H+18 : bonjour Le Mans !
Dormir 6 à 7 heures au Mans est un luxe pour un photographe. Couché sur les coups d'une heure du matin, le réveil à 8 heures n'est pas anodin. Normalement, nous nous retrouvons tous au petit matin pour les première lueurs du soleil qui offrent un spectacle des plus jolis. Mais avec la météo capricieuse, il n'y aura pas de lever de soleil pour cette édition du Centenaire et c'est seulement à 9 heures que le ciel se dégagera. Je suis de retour aux Esses de la forêt aux alentours de 10 heures pour immortaliser les voitures après les péripéties de la nuit.
H+19 : et si l'on s'amusait ?
Cela fait désormais 19 heures que les voitures roulent, la belle lumière matinale est devenue plus normale, c'est le moment parfait pour s'adosser à quelques tentatives de clichés artistiques tout en retournant en direction de la voie des stands.
H+20 : Promenons-nous dans les bois...
Il reste quatre heures de course, bien assez pour retourner du côté de Mulsanne pour quelques clichés dans les bois. Quoique, la fréquence aléatoire des navettes prises dans les embouteillages autour du circuit me poussent à rester seulement quelques dizaines de minutes avant de me raviser, ayant peur de rater l'arrivée : il faut près d'une heure à chaque fois pour rejoindre le village.
H+23 : En place !
Un rapide passage par les activités annexes et me voici de retour en bord de piste à la sortie du raccordement, prêt à capturer à tout jamais l'arrivée de la course. La proximité avec la piste permet des photos où l'on voit bien l'état des voitures après 23 heures de course !
H+24 : Ferrari remporte l'édition du Centenaire des 24 heures du Mans
Il est 16 heures et trois minutes lorsque la Ferrari 499P numéro 51 d'Alessandro Pier Guidi, Antonio Giovinazzi et James Calado passe le drapeau à damiers, sous les acclamations des tifosi venus en nombre. 50 ans après leur dernière apparition dans la catégorie reine des 24 heures du Mans, les hommes en rouge de Maranello remportent la victoire devant la Toyota numéro 8 de Sébastien Buemi, Brendon Hartley et Ryō Hirakawa. La Cadillac numéro 2 de Earl Bamber, Alex Lynn et Richard Westbrook complète le podium, laissant aux fans de Porsche dont je fais partie un amère goût de revanche, la meilleure des 963 étant classée neuvième.
Du côté des LMP2, l'Oreca 07 de l'équipe Inter Europol Competition fait la surprise en remportant l'épreuve alors qu'ils ne faisaient pas partie des favoris. En LMGTE Am, pour la dernière apparition de cette catégorie aux 24 heures du Mans, c'est Corvette Racing qui monte sur la plus haute marche du podium. Voici quelques clichés de l'arrivée et du podium.
H+25 : l'heure des constats
Après les différentes cérémonies de podium, le public est invité à aller découvrir les voitures de près au niveau du raccordement. C'est l'occasion parfaite de constater ce que 24 heures de course ont comme incidence sur l'état des carrosseries : voiture sœur amputée de son aileron pour la 963 numéro 6, quelques moucherons dans les dents pour la 911 RSR "Rexy" de AO Racing ou encore des réparations de fortune sur les Glickenhaus.
H+26 : le temps des souvenirs...
Plus de deux heures après l'arrivée, je suis toujours dans l'enceinte du circuit, à déambuler dans le working paddock. Je viens d'assister à une édition incroyable du Centenaire des 24 heures du Mans, qui a dépassé toutes les espérances en nous offrant de l'action à tous les niveaux. Certes, mon constructeur favori n'a pas gagné, mais je me rappellerai de cette édition comme celle qui a prouvé que le sport automobile a encore de l'avenir grâce à son riche passé. Troisièmes 24 heures du Mans et la passion est toujours intacte, voir même plus forte que jamais : nous avons tous fait partie de l'histoire de la plus grande course d'endurance au monde. Merci chers lecteurs d'être présents et de me donner l'opportunité de vivre cette course en tant que photographe accrédité, j'espère que ce récit vous aura fait vivre ou revivre cette édition à mes côtés. À l'année prochaine, Le Mans !